En direct de Niamey: quel avenir pour les SHS en Afrique?

On évoque plus souvent la recherche "sur" l'Afrique que les sciences sociales "en" Afrique. Où en sont ces dernières? Comment se portent-elles? Quels obstacles se dressent à leur développement? Quels avenirs s'ouvrent (ou se ferment) aux jeunes chercheurs africains? C'est à tenter d'esquisser des réponses à ces questions que se consacrera, ce vendredi 19 juin, de 16h30 à 18h30 (heure française) /15h30 à 17h30 (heure nigérienne), une visioconférence en direct du Laboratoire d'études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL) de Niamey. L'anthropologue Elhadji Dagobi Abdoua, qui dirige ce centre de recherche, répond ici à nos questions.

Cinquante ans après la période des décolonisations, comment se portent les sciences sociales en Afrique?

Elles ont indéniablement accusé du retard sur les sciences expérimentales, qui, sur notre continent, se sont développées plus rapidement. Mais le fait est qu'elles sont en plein essor!  Leur importance apparaît dans la multiplication des universités ainsi que des docteurs qui en sortent. Depuis quelques décennies, les chercheurs en sciences sociales font partie du décor. Les responsables des organismes de coopération et les décideurs reconnaissent de plus en plus leur rôle dans les projets de développement. La recherche se développe également dans des institutions de recherche privées, les ONG ainsi et les réseaux scientifiques (c'est le cas du Lasdel). Cette nouvelle filière, qui bénéficie de financements extérieurs modestes, s’appuie bien souvent sur des universitaires. Malgré tout, la recherche en sciences sociales a du mal à se construire en tant champ de savoir autonome en Afrique. Parmi les obstacles à son épanouissement, il y a, je crois, l’insuffisance des financements publics, mais aussi et surtout, l’attraction de la consultance. Cette dernière fait l’objet d’une forte demande de la part des organismes de coopération, lesquels ont besoin de connaissances produites rapidement sur lesquelles ils peuvent fonder leurs décisions. Par ailleurs, la consultance est aussi très gratifiante sur le plan financier. Dans un contexte où les salaires des chercheurs restent bas, et où ces derniers font l’objet de fortes sollicitations de la part des familles, les tentations d’abandonner la recherche au profit de la consultance ou de la politique sont bien réelles.

Quel rôle joue désormais la relation avec l'Europe dans les circuits de financement de la recherche et les cursus de formation des chercheurs africains?

Un rôle essentiel. En l’absence d’un financement public conséquent, une part importante des fonds alloués à la recherche et la formation provient des projets collaboratifs ou des appuis des organismes de coopération. Cette dynamique, sur laquelle se sont construites la recherche et la formation en Afrique depuis plusieurs décennies, est loin de s’estomper aujourd'hui.  Mais il faut reconnaître, cependant, que si l’Europe reste un pôle privilégié de collaboration scientifique avec l’Afrique, elle est de plus en plus concurrencée par les pays d’Amérique du Nord, le Canada aussi bien que les Etats-Unis. Cette diversification des pôles de collaboration découle du fait que ces pays offrent des possibilités très importantes de carrière, particulièrement pour les chercheurs anglophones. Par ailleurs, ces deniers s’insèrent plus facilement en raison du partage de langue avec le pays d’accueil.

Le Lasdel est l'exemple d'une coopération scientifique maintenant ancienne, puisqu'elle a près de 15 ans, impliquant les chercheurs de deux pays africains, le Niger et le Bénin, et des partenaires européens (au premier chef, l'EHESS). Avec le recul, quels enseignements peut-on tirer quant aux effets scientifiques et institutionnels de cette expérience collective?

Le principal enseignement à tirer de l’expérience du Lasdel est que la crise des sciences sociales en Afrique qui en était à l’origine, n’est pas une fatalité. Elle peut et doit être surmontée, mais trois conditions sont à réunir : l’existence d’une masse critique de chercheurs bien formés, la mise en place d’équipes de recherche fonctionnelles et, enfin, leur insertion dans des réseaux de collaboration scientifiques Nord/Sud.
S’agissant du Lasdel, les réussites résident sans doute dans l’engagement des chercheurs seniors qui sont à l’origine de cette initiative, le maintien d’une équipe jusque-là fonctionnelle et le reversement de plusieurs docteurs dans les universités publiques.
En revanche, il existe des difficultés persistantes qui menacent l’existence de cette structure : l’absence d’un mécanisme de financement pérenne en dehors de l’autofinancement, l’insuffisance de publications par les jeunes chercheurs et, enfin, les difficultés de maintenir les chercheurs formés dans la recherche.

Fiche technique: « Les enjeux des sciences sociales en Afrique : situation actuelle, défis et opportunités » • Une visioconférence retransmise en direct de Niamey, dans le cadre du cycle « Les SHS vues d’ailleurs » • Vendredi 19 juin, de 16h30 à 18h30 (heure française) /15h30 à 17h30 (heure nigérienne) • Paris: EHESS, 190 avenue de France, salle du conseil • Niamey: Lasdel, rue du Plateau, à côté de la direction de la Nigelec, face aux cases Air Afrique • Avec la participation de Mahaman Tidjani Alou, Eloi Ficquet, Jean-Bernard Ouédraogo, Jean-Paul Colleyn, Rémy Bazenguissa, Giorgio Blundo, et des chercheurs et doctorants du Lasdel.

 

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