В рамках юбилея Высшей школы социальных исследований, цикл «Социальные науки, взгляд извне» предлагает серию видеоконференций с участием крупных зарубежных университетов. Целью является смещение фокуса на практику социальных наук и на ее политические и социальные задачи с тем, чтобы лучше понять эволюцию науки в мировом масштабе. В этой связи 18 июня с 11 до 13 часов по французскому времени/ c 12 до 14 часов по московскому времени состоится франкоязычная встреча, которая объединит французских и российских исследователей в Высшей школе экономики в Москве. К обсуждению предлагается проблема эволюции социальных наук, в частности, их отношения с экспертизой и критикой. Передаваемая в прямом эфире встреча даст возможность обменяться мнениями с учеными и публикой из Высшей школы социальных исследований. Историк Алан Блюм и социолог Франсуаза Досе (Центр изучения России, Кавказа и Центральной Европы) – организаторы встречи – объясняют ниже цели и задачи этой видеоконференции.
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Dans le cadre de l’anniversaire de l’École, le cycle « les SHS vues d’ailleurs » propose une série de visioconférences avec de grandes universités étrangères. Le but: décentrer le regard sur la pratique des sciences sociales et ses enjeux politiques et sociaux, et mieux comprendre comment la recherche évolue aujourd’hui à travers le monde. Dans ce cadre, une rencontre, en français, réunira des chercheurs français et russes le 18 juin prochain, de 11 à 13h (heure française)/de 12h à 14h (heure russe), au Haut-collège d’économie de Moscou (Vyshka), autour de la question des évolutions des sciences sociales et, plus particulièrement, du rapport qu'elles entretiennent d'une part avec l'expertise, d'autre part, avec la critique. Retransmise en direct, elle donnera lieu à un échange avec le public réuni à l’EHESS. L'historien Alain Blum et la sociologue Françoise Daucé (CERCEC), qui organisent l'événement, nous précisent ici les ambitions et les enjeux de cette visioconférence.
Dans le domaine des SHS, la coopération entre la Russie et la France est ancienne et couronnée de belles réussites, telles les Collèges universitaires français de Moscou et Saint-Pétersbourg (CUF) et le Centre d'études franco-russe de Moscou (CEFR). On insiste souvent sur ce qu'une telle coopération a apporté à la formation des jeunes générations de chercheurs et à l'établissement de liens de coopération scientifiques durables. Il semble que lors de cette visioconférence, vous souhaitez insister sur un autre intérêt encore, en montrant en quoi le dialogue entre France et Russie permet aussi de mieux comprendre comment les sciences sociales se développent dans le monde d'aujourd'hui.
Vous avez raison: depuis la disparition de l’URSS, en 1991, les coopérations entre la France et la Russie se sont considérablement développées, dans toutes les disciplines des sciences humaines et sociales: en histoire, en sociologie, en littérature, en économie... Elles ne se réduisent pas aux deux institutions que vous mentionnez, qui en sont un bel exemple, mais s’étendent aussi à de nombreuses coopérations entre chercheurs ou enseignants-chercheurs appartenant à diverses institutions, au développement de projets collectifs, à l’existence de convention de coopération entre universités. L’EHESS a ainsi signé il y a quelques années une convention avec l’Université d’État-Haut-collège d’économie (plus couramment appelée Vyshka), université dont le cœur est l’économie, mais qui développe depuis plusieurs années, de façon très appuyée, les sciences humaines et sociales. De nombreux enseignants et chercheurs avec qui nous sommes en relation y travaillent désormais et nous développons de nombreuses coopérations (recherches communes, écoles d’été, etc.) avec eux. Sur le fond, en s’appuyant sur ces liens tissés depuis plusieurs années, l’objectif de la visio-conférence est d’évoquer le développement des sciences sociales aujourd’hui en Russie, mais plus largement dans le monde, à travers des exemples concrets de débats et de controverses entre des scientifiques travaillant ensemble. En la matière, le cas de la Russie semble particulièrement riche en raison de l’histoire particulière de ce pays et des évolutions les plus récentes qu’on y observe. En discutant cette spécificité apparente, il s’agit de réfléchir aux tensions (heuristiques) suscitées par la grande circulation des chercheurs et des idées, d’un côté, et la prise en compte des contextes propres aux pays, aux institutions, de l’autre.
Vous insistez, en particulier, sur le fait que les sciences sociales se développent entre "espace critique" d'une part, "espace d’expertise, d’intervention et d’aide à la décision politique et sociale" d'autre part. De fait, nous sommes familiers de ce genre de tension en France. Mais comment se manifeste-t-elle aujourd'hui dans le cas de la Russie?
Les tensions entre expertise et critique ont toujours été centrales en Russie post-soviétique, comme elles l’étaient d’ailleurs en URSS. La sociologie fut longtemps interdite en URSS, avant d’y apparaître comme conséquence d’une demande d’expertise (et donc loin de l’espace public permettant un débat contradictoire). Il en était de même pour l’histoire contemporaine. Mais, cette demande d’expertise a finalement conduit au développement d’un milieu ouvert à la critique, même si son expression publique était limitée. Aujourd’hui en Russie, la tension est à nouveau très forte, entre « utilité » directe, demande d’appui aux orientations politiques contemporaines, et ouverture à la contradiction. On peut le voir non pas seulement en sociologie, mais aussi en anthropologie ou même en histoire, quand, suite aux tensions en Ukraine depuis le début de l’année 2014, les historiens sont appelés à écrire une histoire de la Crimée ou à contribuer à offrir les fondements d’une célébration, sans nuance, de la victoire de l’URSS durant la Seconde guerre mondiale. Ces tensions s’accompagnent d’une fermeture certaine de l’espace du débat, en tout cas dans certains domaines. Pourtant, ces évolutions, si radicales et problématiques pour la recherche soient-elles, nous renvoient vers des questions qui existent aussi dans d’autres espaces et méritent d’être discutées.
Vous défendez l'idée que les sciences sociales, y compris celles qui ne portent pas sur le contemporain, sont réactives à l'actualité et, notamment, aux crises économiques et politiques. Quels sont, selon vous, les intérêts mais aussi les dangers de cette réactivité? Et que peut nous apporter, de ce point de vue, une comparaison entre les situations française et russe?
Bien entendu, l’historien, le sociologue ou l’anthropologue sont sensibles au contemporain, posent des questions en partie fonction des débats contemporains ; il n’y a là rien de surprenant, bien au contraire. Dans le cas des recherches sur la Russie, on l’a bien vu au début des années 1990 avec la domination, souvent implicite, des paradigmes de la démocratisation conduisant les chercheurs à penser la Russie dans des catégories issues de l’appareillage libéral (compétition politique, marché, new public management, privatisation, entrepreneurs de causes…). La difficulté pour le chercheur consiste à s’extraire des évidences imposées par l’époque pour en faire un point d’appui de son travail critique. Sans ce regard réflexif, le risque est grand de se transformer en experts, c’est-à-dire à vouloir être en lien direct avec le monde politique ou le monde économique, pour prodiguer conseils, recettes, etc. Il nous semble que là est le danger, de faire disparaître la frontière, indispensable, entre le monde incertain de la recherche et les certitudes de la décision politique. Le chercheur peut participer au débat public, mais ne doit pas se présenter comme celui qui détient les clés indiscutables de l’action. Un chercheur, travaillant sur la Russie comme sur tout autre espace, qu’il soit historien ou politiste, sociologue ou anthropologue, doit prendre de la distance à l’égard des cadres de pensée qui s’imposent, et offrir par ses travaux les fondements d’une connaissance qui dépasse son propre terrain, qui élargit la connaissance des pratiques sociales. Nous retrouvons là le débat sur espace de critique et intervention. L’intervention ne nous semble pas faire partie du domaine du chercheur, car il risque ainsi d’une part de perdre le recul nécessaire, mais aussi d’être soumis aux logiques immédiates du politique.
Propos recueillis par Flavie Leroux
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De l'utilité des sciences sociales
Fiche technique: « Les sciences sociales entre espace de la critique et pratique de l'intervention » • Une visioconférence retransmise en direct de l'Université fédérale de recherche - Haut-collège d’économie (Vyshka, Moscou), dans le cadre du cycle « Les SHS vues d’ailleurs » • Avec le soutien du Collège universitaire français (CUF) de Moscou et du Centre d’études franco-russe (CEFR) de Moscou • Jeudi 18 juin, de 11h à 13 h (heure française) /12h à 14h (heure russe) • Paris: EHESS. 190 Avenue de France. Salle du Conseil • Moscou: Université nationale de recherche - Haut-collège d’économie, ul. Miasnitskaia, 20, salle 102 • Langue utilisée: le français • Avec la participation, depuis Moscou, de Olessia Kirtchik, Alexandre Bikbov, Alain Blum, Alexandre Gofman, Laurent Thévenot, Grigori Ioudin, Andrey Isserov, Viktor Kaploun et Pavel Ouvarov et, depuis Paris, de Juliette Cadiot, Françoise Daucé, Yves Cohen, Igor Fedyukin, Alessandro Stanziani et Isabelle Thireau.
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