Sa panthéonisation a eu lieu le 27 mai dernier aux côtés de celle de trois autres figures de la Résistance (1). Pourtant, Germaine Tillion est une personnalité dont nombre de facettes restent méconnues, non seulement du grand public et des médias, mais encore d'une bonne partie de la communauté des chercheurs en SHS. C'est à corriger cette méconnaissance que s'attacheront deux journées d'études intitulées « L'Algérie de Germaine Tillion. Entre ethnologie et politique » qui se tiendront, dans le cadre du 40e anniversaire de l'EHESS, les 26 et 27 mai prochains – soit la veille et le jour même de la cérémonie de panthéonisation. Leur organisatrice, l’anthropologue Tassadit Yacine, du Laboratoire d’Anthropologie Sociale, nous en explique ici les enjeux.
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Her « panthéonisation » occured the last 27th of May, alongside three others eminent members of the Resistance. And yet, many sides of Germaine Tillion remain little known, not only to the public and the media, but also to a great part of the humanities researchers. These two study days, entitled “The Algeria of Germaine Tillion. Between ethnology and politics”, will try to fix this ignorance. They will take place as part of the “40th EHESS’ anniversary”, the next 26th and 27th of May – the day before and the D-day of the “panthéonisation” ceremony. Their organizer, Tassadit Yacine, from the Laboratoire d’Anthropologie Sociale, explains here what is at stake
Pourquoi, le jour même où elle entre au Panthéon pour ses faits de résistance, revenir sur l’héritage de Germaine Tillion en tant que chercheuse?
Parce que les deux aspects sont intimement liés! Et que la vie de Germaine Tillion forme un tout, dont il est difficile et maladroit d'isoler certains aspects ou certains engagements. De ce point de vue, il est frappant qu'en France, Germaine Tillion demeure une figure relativement ignorée dans ses dimensions proprement scientifiques. On oublie qu'à son retour d’Algérie, en 1958, elle fut intégrée immédiatement à la sixième section de l’EPHE, l'ancêtre de l'EHESS, en tant que directrice d’études. Il est vrai que le contexte des années 1960 ne fut pas propice à la reconnaissance de ses travaux, d’autant que le marxisme et le structuralisme lévi-straussien – deux courants auxquels elle ne se rattache pas du tout – avaient alors pris l'ascendant. Elle constituait à cette époque une sorte d'électron libre, n’ayant pas vraiment vocation à « faire école ». Dans son séminaire sur l’ethnologie de l’Afrique du Nord berbère, elle poursuivait inlassablement ses travaux d’ethnologie, entamés dès 1935 dans l’Aurès, dans la perspective de dégager les éléments structuraux et les schèmes communs d’un « monde méditerranéen ». C'est très précisément à ce titre, en tant que promotrice d'une ethnologie de l’espace méditerranéen, que Germaine Tillion bénéficie aujourd'hui d'une forte reconnaissance dans les milieux académiques de pays comme les Etats-Unis ou le Brésil. En France, il faut bien le dire, c'est un peu moins le cas. Tel est précisément l'un des buts de ces deux journées d’études : redonner à Germaine Tillion la place qui fut la sienne et qu'elle mérite de se voir restituer au sein de l'histoire des sciences sociales françaises en général, et de l’EHESS en particulier. Des interventions comme celles, entre autres, de l'ethnologue Christian Bromberger devraient y contribuer, de même que celle du sociologue Abdelhafid Hammouche qui nous proposera une lecture critique d'un ouvrage important et trop peu lu de Germaine Tillion, Le harem et les cousins.
Vous disiez que les travaux scientifiques de Germaine Tillion sont indissociables des autres aspects de sa vie?
En effet. Il est clair, par exemple, que les nombreuses situations tragiques auxquelles elle a été confrontée, ont eu un impact profond sur ses méthodes de travail, et réciproquement. A Ravensbrück, où elle avait été déportée en 1944, elle a ainsi développé une approche réflexive sur les camps : en pratiquant des observations de terrain, elle s'est procuré une distance salutaire vis-à-vis de la condition qu'elle et ses camarades subissaient. Elle a adopté une démarche similaire, lorsque plus tard, elle a travaillé sur la mémoire de la Shoah ou bien encore, dans les moments les plus durs de la guerre d’Algérie. Ces allers-retours réflexifs font partie d'une ligne de conduite à laquelle elle s'est tenue à la fois dans ses travaux et dans son action politique, à savoir une analyse aiguë des rapports d'oppression et une empathie avec les dominés lui permettant de mieux lutter contre l’injustice et la barbarie. Ceci explique pourquoi elle a toujours tenté de changer la société « par le bas » plutôt que « par le haut ». En Algérie notamment, dans les années de l'immédiate après seconde guerre mondiale, elle a tenté d'aider les plus démunis – les femmes en particulier – à devenir plus indépendants par le biais de l’instruction. A cette même époque, dans un contexte de guerre, elle s'est engagée personnellement pour maintenir des formes de dialogue et d'échange. C'est ainsi que comme nous l’expliqueront Caroline Martello et Christian de Montlibert, elle fut active au sein des « centres sociaux », ces lieux qui permettaient d'assurer le contact entre chrétiens et musulmans. De même qu'elle a joué un rôle de liaison important entre les politiques Français et les représentants du FLN – en particulier Yacef Saâdi. Elle n'a pas hésité non plus à prendre la défense de prisonniers politiques et à dénoncer publiquement la violence sous toutes ses formes (exécutions sommaires, torture, terrorisme…). Seule la montée des tensions avec l’extrême-droite l'obligea à regagner la France métropolitaine. Ce retour ne l'empêcha d'ailleurs pas de poursuivre sa lutte au sein du milieu universitaire, en développant l’enseignement dans les prisons ou en aidant les Algériens à obtenir des bourses d’études. A bien des égards, elle a mené un combat permanent mais qui reste encore largement occulté. Nous espérons en donner un aperçu lors de ces journées d'études.
Quel lien faut-il voir entre ces deux journées d’études et la cérémonie de panthéonisation?
L’entrée au Panthéon de Germaine Tillion marque, je crois, une double volonté de la part du pouvoir politique : rendre hommage à une patriote, résistante et déportée, et honorer la mémoire et la personne d'une femme, alors qu’on ne compte au Panthéon, à l’heure actuelle, que deux individus de sexe féminin en tout et pour tout: Marie Curie et Sophie Berthelot, aux côtés de leurs époux. Les journées que nous organisons n'ont certes pas pour vocation de relativiser ces deux traits de l'identité de Germaine Tillion, la patriote et la femme ! Mais nous aimerions suggérer qu'elle ne s'y réduit pas et qu'on aurait tort de l'y réduire. Il y a dans sa personnalité beaucoup d’autres aspects, dont certains ont plus de mal à être admis et célébrés, parce que, peut-être, ils sont plus dérangeants ou moins immédiatement consensuels. Je veux parler des actions remarquables qu'elle mena en faveur de la justice sociale et de la non-violence en plein cœur de la guerre d’Algérie et de la place qu'elle occupe objectivement dans l'histoire de l'ethnologie française.
[1] Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay.
Propos recueilli par Flavie Leroux
(crédit photo : Association Germaine Tillion)
Fiche technique : « L'Algérie de Germaine Tillion. Entre ethnologie et politique » - 26 et 27 mai 2015 – Amphithéâtre François Furet, 105 bd Raspail, Paris 6e - Des journées d’étude organisées par Tassadit Yacine (LAS) en collaboration avec la chaîne Berbère Radio Télévision (BRTV).
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