Vingt-trois ans après sa mort, Louis Marin revient en force dans l'actualité de la recherche, grâce à plusieurs publications et hommages posthumes. L'auteur du Portrait du roi et de La Voix excommuniée, qui fut directeur d’études à l’EHESS, serait-il enfin en passe de sortir de la « grandeur discrète » que lui valut le caractère inclassable de ses pratiques d'analyse, à mi-chemin entre philosophie, sémiologie et histoire de l'art ? C'est en tout cas l'ambition de la demi-journée d'étude qui se tiendra ce jeudi 18 juin sous le titre « Actualités de Louis Marin ». L'un de ses maîtres d'œuvre, Pierre Antoine Fabre (CéSor), nous en dévoile ici les enjeux.
23 years after his death, Louis Marin is again at the frontline of the actuality of reasearch, through several publications and posthumous hommage. Will the author of Portrait du roi and La voix excommuniée, a former EHESS director of studies come out of the grandeur discrète he earned thanks to his unclassifiable analysis methods, between philosophy, semiology and history of arts? It is the ambition claimed by the half-day of study that takes place this Thursday June 18th under the title "Actualités de Louis Marin". Organiser Pierre Antoine Favre (Centre for social studies of the religious, CéSor) explains here the questions at stake.
Plus de vingt ans après la mort de Louis Marin, et après diverses publications et rééditions de ses œuvres, qu'il y a-t-il, dans l'héritage qu'il nous laisse, qui soit encore à découvrir?
Beaucoup de choses ! Vous avez raison: l’œuvre de Louis Marin a déjà fait l’objet de nombreuses discussions et publications, en particulier de manuscrits ou d’articles inédits qui se placent dans le prolongement de ses principaux ouvrages. Des colloques ont été organisés à l’EHESS, puis à Pau et à Paris III, pour mettre au jour des recherches sur un aspect de son œuvre, ou des travaux inspirés par sa pensée. Cependant, ces débats n’ont pas fait l’objet de publications immédiates, les éditions d’écrits posthumes ayant accaparé toute l’énergie du groupe des amis et élèves de Louis Marin qui entourait Françoise Marin dans ces années 1990. C’est pourquoi il nous paraissait essentiel de publier aujourd'hui une synthèse, avec une architecture indépendante, qui dépasse celle des trois colloques. Une telle entreprise, nous le pensons, est capable de renouveler en profondeur la vision de l'œuvre de Louis Marin et le regard porté sur sa façon de travailler. Avec plusieurs collègues, et avec le concours des éditions de l’EHESS, nous avons donc tenté de produire un ensemble intégré, international, multi-générationnel, interdisciplinaire, qui interroge l’héritage de Louis Marin à la lumière de recherches récentes. Là est l’un des objectifs de l’événement que nous organisons ce 18 juin : présenter cette publication, Travailler avec Louis Marin, prévue pour l’automne 2015. Mais pas seulement… En fond se détache aussi la question plus large de la « grandeur discrète » de Louis Marin : si, en effet, il n’a pas connu le même type de notoriété que celle de Bourdieu, de Derrida ou de Foucault, son œuvre, sur un mode moins spectaculaire, n'en demeure pas moins aujourd’hui très fréquentée et sans cesse revivifiée par ses usages, aussi bien en France qu'à l'étranger – aux Etats-Unis en particulier.
Comment expliquer cette « grandeur discrète » ?
C’est peut-être ce qui caractérise le plus mieux l’EHESS, l’interdisciplinarité, qui est à la source de l'« effacement » relatif de Marin. Il ne fut le héros militant d’aucune « église disciplinaire ». Et il entretint toujours une sorte de distance intime, tant avec la sémiologie et ses développements sémiotiques, qu'avec la question religieuse ou encore avec la question politique ce qui rend d’autant plus difficile l’appropriation de sa méthode et de sa pensée, et lui vaut les critiques des « tribus confessionnelles », notamment. Paradoxe d’une œuvre qui entre pourtant au cœur du « pouvoir », celui des princes comme celui des dieux. C’est précisément l’une des raisons pour lesquelles nous organisons cette rencontre : nous voulons ouvrir un forum d’échange, ouvert à toutes les perspectives disciplinaires, autour de cette postérité. C'est aussi une manière de faire découvrir plusieurs projets en cours qui intéressent des disciplines diverses et pourraient permettre, si on les relayait, d'activer de nouvelles dynamiques interdisciplinaires, par ailleurs essentielles pour l’avenir de l’Ecole. Nous en profiterons aussi pour présenter un autre projet de publication traitant d’un aspect relativement méconnu de l’œuvre de Louis Marin : ses rapports à l’art contemporain. Pour beaucoup, en effet, Marin est l'analyste génial de Philippe de Champaigne, de Poussin ou du Caravage. On connaît moins son intérêt pour l'art d'aujourd'hui. Ce recueil en préparation, formé d’une sélection de textes recueillis parmi ses très nombreux articles, aborde en particulier les réflexions de Marin sur la muséographie et sur les rapports entre la grande figuration classique et l’abstraction. Xavier Vert retracera cette évolution. Il évoquera notamment les préfaces que Marin a pu écrire pour ses amis artistes, et ses articles publiés dans des revues comme Traverses ou les Cahiers du Musée d’art moderne, témoignant de son intérêt pour le milieu intellectuel lié au Centre Beaubourg à partir des années 80. Les archives de Louis Marin nous disent le rôle très important qu’a joué Beaubourg dans ces années-là.
J’allais y venir : en quoi les archives laissées après la mort de Louis Marin peuvent-elles constituer un nouveau terrain d’investigation?
Tout simplement parce qu’elles n’ont quasiment pas été exploitées jusqu’alors ! Les archives de Louis Marin, une soixantaine de cartons, ont été gardées à son domicile jusqu’en 2007-2008, donc pendant le temps des travaux d’éditions posthumes, avant d’être déposées à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC). Mais même alors, elles étaient difficilement exploitables, n’étant que très provisoirement classées. Avec le conseil très attentif de Pascale Butel, que je tiens à remercier beaucoup ici et qui sera avec nous le 18 juin, Alain Cantillon et moi-même avons contribué à une rationalisation de ce fonds, en préparant avec elle une « architecture intellectuelle » qui permettra de rendre ce fonds accessible. Désormais, ces documents, classés selon leur nature archivistique (séminaires, préparations d’articles, préparations de livres), pourront aussi être retrouvés par thèmes, par auteurs, etc. Nous avons souhaité réunir le public le plus large pour présenter ce fonds et montrer la double perspective qu’il ouvre : il facilitera les travaux de recherche, sur un aspect de l’œuvre de Marin, ou sur une archéologie de sa pensée, mais il pourra également faire l’objet de nouvelles formes de publications qui auront une portée historiographique et méthodologique. Cette « publication expérimentale » nous paraît essentiel, autant pour restituer une pensée en cours d’élaboration que pour révéler des aspects inédits de l’œuvre de Marin, du début à la fin de sa carrière. Et surtout, ce regard nouveau sur l'œuvre de Louis Marin doit nous servir à relancer, demain, les recherches qui s'en inspireront et qui seront portées par l'attachement qui fut le sien à cette « interdisciplinarité » dont l’Ecole à laquelle il était profondément liée à fait l’une de ses définitions majeures, mais aussi à une liberté de pensée qui habite toutes ses pages.
Propos recueillis par Flavie leroux
Voir également sur le site de l'anniversaire, dans la rubrique "40 ans/40 livres":
1981: Louis Marin révèle ce qu'est le pouvoir
Fiche technique : « Actualités de Louis Marin » • 18 juin 2015 • 13h30-16h30 • 105 bd Raspail, salle 8 • Un atelier organisé par Alain Cantillon (Grihl), Giovanni Careri (Cehta) & Pierre Antoine Fabre (Césor) • Sur Louis Marin, voir aussi ici.
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