Que peuvent nous apprendre les SHS sur les musiques électroniques ? Et que peuvent-elles apprendre sur elles-mêmes, de leur confrontation avec ces musiques ? Telles seront les questions au centre du colloque « Musique électronique et sciences sociales » qui se tiendra les 25 et 26 juin prochains à l'EHESS, dans la série « Arts, littéature et sciences sociales ». Baptiste Bacot (CAMS & IRCAM) et Frédéric Trottier (Centre George Simmel) nous en expliquent les enjeux.
The symposium "Electronic music and social sciences", joint-organised by the EHESS and the Institute for research and coordination acoustics/music (IRCAM, Paris) invites us to a reflexion about the way social sciences can help in analysing and studying electronic music. Baptiste Bacot (CAMS & IRCAM), who organises it with Frédéric Trottier (Centre George Simmel), shines a light on the various subjects that will debated during the event.
Comment aborder, depuis le point de vue spécifique des sciences sociales, le phénomène des musiques électroniques ?
Dans ce colloque, nous avons pris le parti de l'aborder de trois manières complémentaires. D'abord, de façon technologique et organologique. Autrement dit, en nous intéressant à l'évolution de l'instrument électronique, envisagé dans son milieu de production et ses usages. La musique électronique est apparue dans les années 1950 avec les premiers générateurs de signaux et de sons synthétiques. A compter de ce moment, et de manière plus nette encore à partir des années 1970, le rapport à la fabrication du son a changé : un geste donné ne correspond plus à la production d'un son précis, ce qui était une constante de la pratique acoustique de la musique. Durant cette même décennie des années 70, des lieux spécifiques destinés à accueillir le public de ces musiques voient le jour: Bastien Gallet, auteur du Boucher du prince Wen-Houei, Enquête sur les musiques électroniques, viendra nous parler notamment du paradigme du club. Depuis les années 2000, cette conception instrumentale a encore évolué, avec les réalisations de fabricants un peu alternatifs comme Eigenlabs et la EigenHarp, ou Roger Linn et son Linnstrument. Geert Bevin, qui a travaillé sur ces deux projets, nous en parlera et fera la démonstration de ces contrôleurs. Ce sont ces transformations successives de l'instrument et leurs implications que nous essaierons de ressaisir. Un second panel sera consacré aux discours sur les musiques électroniques et à la recherche de terrain. Il consistera en un retour sur la manière dont anthropologues et sociologues, ces dernières années, ont entrepris d'enquêter sur les milieux de la musique électronique. Les études ont notamment porté sur les free parties, un phénomène au départ considéré comme « sauvage » et situé aux marges de la légalité mais qui s'est peu à peu institutionnalisé, ce qui modifie à la fois l'accès que peuvent en avoir les chercheurs et la position que ces derniers occupent par rapport à leur objet. Jean-Christophe Sevin, du centre Norbert Elias, abordera ces questions. Enfin, nous avons voulu nous intéresser à la dimension scénographique des musiques électroniques. Celle-ci prend une place toujours plus importante dans ces musiques. Progressivement, le simple geste musical es dépassé, c'est tout le corps qui est mis à profit, comme dans "Sculpting the Air", cette pièce de Jesper Nordin qui a été donnée au festival Manifeste de l'Ircam : le chef d'orchestre peut influer, grâce à une caméra Kinnect, sur le son produit par l'orchestre. Stravinski disait, dans Chroniques de ma vie, que la musique se voit autant qu'elle ne s'écoute, et que ce que l'on en voit procure de la force à ce que l'on entend. C'est en somme le principe de cette évolution singulière des musiques électroniques.
En comparaison d'autres champs de recherche en sciences sociales, celui de la musique électronique pose-t-il des problèmes spécifiques ?
D'un certain point de vue, c'est un champ tout à fait identique aux autres. On y rencontre des problèmes méthodologiques qui sont familiers à tout chercheur en sciences sociales. On y recourt à des cadres théoriques communs à d'autres champs d'étude. Ainsi, par exemple, on y trouve des questionnements très similaires à ceux qui animent l'étude de la littérature, à travers, notamment, les humanités numériques ou la question de la génétique des œuvres. Bref, il n'y a pas d'exceptionnalisme à attendre de ce domaine ! Et on ne gagne rien à créer à ce sujet l'illusion qu'il y en aurait un. En revanche, il est vrai que certains problèmes s'y posent d'une manière particulière ou très aiguë. Celui des traces que laissent les créations en est une. Ces traces peuvent être revues/réécoutées indéfiniment sans subir d'usure, mais comment les analyser ? Elles demandent d'avoir des stratégies numériques ambitieuses et, pour le chercheur, de nouer des collaborations avec des informaticiens chevronnés, afin d'analyser le matériel enregistré, notamment dans le cas d'images mobiles ou d’informatique musicale. Il s'agit aussi de pouvoir opérer avec ces traces une transmission scientifique qui tienne la route et ne soit pas une simple séquence vidéo qui sera ensuite commentée. C'est pourquoi, par exemple, certains chercheurs incluent des outils d'analyse dans le support lui même, en incrustant du texte dans les vidéos, pour y souligner ce qu'ils veulent mettre en valeur. Ajoutons que la collecte même des matériaux numériques peut constituer un problème dans certains cas, de même que la captation des « rituels secrets » comme la phase de production de ces musiques. Clarisse Bardiot nous parlera de ces difficultés, elle qui a participé à la création du logiciel "Rekall", un logiciel qui rend compte de l'évolution d'un processus créatif, sous la forme d'une timeline intégrant les données collectées.
Vous avez souhaité adjoindre au colloque, des démonstrations musicales. Pour quelle raison ?
Nous sommes partis sur une idée de « journée de recherche appliquée ». Nous voulions un moment où l'on puisse aussi inviter des musiciens, de manière à ce que les gens qui ne sont pas très au fait des musiques électroniques ne restent pas sur leur faim avec un format qui serait trop académique. C’est pourquoi, notamment, nous avons convié Geert Bevin à faire des démonstrations. De même, nous aurons l’honneur d’accueillir Jeff Mills, l'une des figures majeure de la techno américaine, le jeudi après-midi, pour un entretien public avec Mathieu Guillien. C’est pour nous une façon de démystifier un peu les musiques électroniques. L'ambition est aussi d'encourager les croisements entre chercheurs et praticiens et de développer les angles d'approche disciplinaires : la musique électronique a un rapport constitutif avec la création musicale, bien évidemment, mais aussi bien avec l'informatique et également, avec l'art vidéo, qui est un domaine encore très confidentiel aujourd'hui. Et les sciences sociales ont, et doivent avoir, un rapport avec l'ensemble de ces domaines.
Propos recueillis par Stéphane Dennery
Découvrez l'affiche de l'événement
Fiche technique: « Musiques électroniques et sciences sociales » • Un colloque organisé par Baptiste Bacot (CAMS & IRCAM) et Frédéric Trottier (Centre George Simmel) • Les 25 et 26 juin 2015 • EHESS, 105 bd Raspail, salles 7-8 (jeudi 25 au matin) et amphi F. Furet (jeudi 25 après-midi et vendredi 26), de 10h à 19h • Avec le soutien de l’IRCAM • Avec la participation, outre les organisateurs, de Nicolas Donin, Bastien Gallet, Grégoire Lavergne, Lucile Relexans, Geert Bevin, Stéphane Dorin, Jeff Mills, Mathieu Guillien, Jean-Christophe Sevin, Samuel Lamontagne, Edgar C. Mbanza, Otso Lähdeoja, Frédéric Bevilacqua, Romain Barthélémy, Andrea Giomi, Lola Salem, Clarisse Bardiot & Mathieu Guillien.
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